Il n’a jamais été nécessaire de vivre de l’art pour faire de l’art.


Depuis les premiers humains, l’expression symbolique accompagne la vie sans s’y subordonner. On dansait, on peignait, on racontait, non pour en vivre, mais pour exister plus largement, pour donner forme à ce qui déborde la seule satisfaction des besoins.
L’idée qu’il faudrait en vivre, comme d’un métier, est un paradigme récent qui inverse la logique profonde de la création : ce n’est plus l’art qui prolonge la vie, c’est la vie qui devient moyen de production artistique, soumise aux flux du marché, aux codes du succès, à la nécessité de se vendre.

Cette mutation dit quelque chose de grave : que nous ne savons plus accorder à chacun le temps de créer, que l’expression est devenue un luxe réservé aux plus aguerris ou aux plus conformes, que la gratuité de l’élan est engloutie par l’économie générale des performances. Créer ne devrait jamais être conditionné à la survie. Il ne s’agit pas d’en vivre, mais de vivre assez librement pour que l’art circule, comme le sang dans nos veines. C’est cela que notre époque ruine. L’échec n’est pas celui de l’artiste qui ne “perce” pas. L’échec est collectif : il est dans notre incapacité à garantir à chacun le droit de s’exprimer sans rentabiliser sa sensibilité.